Nous devons chérir la création, celle qui nous révèle, nous relie, nous fait vibrer, nous interroge, nous rend libres… Nous devons chérir la création car elle est essentielle à la réalisation de l’humanité et à l’émancipation humaine. Nous devons chérir la création face aux menaces du marché, des autoritarismes, des intégrismes.

Créer ne doit pas être réservé à quelques-uns. Mais créer est aussi un travail, avec des femmes et des hommes dont le geste créateur est le métier. Si les œuvres nous sont essentielles, le travail qui leur permet d’advenir ne saurait être abandonné à l’indifférence ou invisibilisé. Dans un monde où l’on ne considère que le produit, nous continuons à vouloir parler de l’œuvre. Dans un monde piloté par les coûts et les résultats, nous continuons à vouloir faire reconnaître les métiers et le travail. Sans les artistes-auteurs-autrices, il n’est pas d’œuvres.

On ne les reconnaît aujourd’hui réellement que sous la forme du droit d’auteur qui ne constitue pas une rémunéra­tion du travail mais du patrimoine. La réflexion que nous avons engagée, sous l’impulsion de Jean-Jacques Barey, avec la commission culture du Parti communiste vise à ouvrir une nouvelle voie. Il y a beaucoup à faire, et l’urgence nous a conduit à mettre en avant le sujet de la protection sociale. Car le travail, cet engagement de soi pour répondre aux besoins humains, doit être créateur de droits.

Nous avons travaillé avec de nombreux acteurs et actrices de la création artistique pour poser la question, dans un premier temps d’un revenu de remplacement lorsque l’activité n’est pas au rendez-vous. Parler de protection sociale, et pis encore d’assurance-chômage, est malheureusement audacieux par les temps qui courent. C’est pourtant essentiel et les mobilisations sociales qui se sont fait jour ces dernières années montrent la puissance des aspirations populaires à cet endroit. Les artistes-auteurs-autrices n’en sont pas à l’écart.

Ce text a pour ambition de rendre cette question incontournable au regard de l’urgence sociale et de l’urgence culturelle entremêlées : quels droits sociaux pour les artistes-auteurs ?

Pierre Dharréville
Délégué national du PCF à la culture
Député des Bouches-du-Rhône

Aucune œuvre, aucun livre, aucun film, aucun spectacle théâtral ou musical, aucune création visuelle ou plastique ne verrait le jour ni ne serait offert au partage d’un public sans le travail initial d’un·e auteur·ice.

L’auteur·ice tient une place décisive dans la création, dans l’économie des arts et de la culture, et plus générale­ment dans la vie intellectuelle de notre pays. Il ou elle en est la racine, la condition sine qua non.

Nous sommes pourtant face à un paradoxe : si quelques auteur·ices jouissent d’un statut symbolique privilégié, la grande majorité est déconsidérée dans son travail, dans son apport à la société et à l’économie. Ils ou elles sont traité·es comme de simples « fournisseur·ses » de « matière première ».

La crise sanitaire de ces dernières années a révélé, s’il en était besoin, la situation de grande précarité dans laquelle vivent une majorité de ces créateur·ices, qui pour leurs activités professionnelles obtiennent des revenus les plaçant sous le seuil de pauvreté.

Il s’agit donc de rendre justice à leur rôle central dans les mondes des arts graphiques et plastiques, de la littérature, de la musique, du théâtre, du cinéma et de reconnaître leur qualité de travailleur·ses dès que le fruit de ce travail sort de la sphère privée et fait l’objet d’échanges et d’activités.

Aujourd’hui, la rémunération des créateur·ices repose sur le principe du droit d’auteur, faisant de l’œuvre la propriété exclusive d’un·e auteur·ice, source d’un droit patrimonial qui lui permet de tirer profit de la diffusion de son œuvre. L’auteur·ice est ainsi considéré·e par le droit comme un·e « rentier·e » dont le patrimoine est susceptible de produire (ou non) un revenu. Dans les arts graphiques et plastiques, la rémunération repose également sur la cession d’œuvres uniques. Dans les deux cas, le revenu n’est pas issu du travail mais de la diffusion de son produit.

Pourtant, l’auteur·ice accomplit bien un travail. Certes, il ou elle exerce une profession d’un genre parti­­culier qui implique de la part de celui ou celle qui l’adopte un investissement personnel, intime voire affectif. Mais la spécificité des disciplines artistiques ne saurait occulter ce qui rapproche les créateur·ices des autres travailleur·ses et qui s’avère, au plan économique et social, bien plus important que ce qui les distingue : présence attendue dans les espaces liés à la création, échanges avec les autres acteur·ices de l’exploitation de l’œuvre, réécriture, réponses à des demandes spécifiques, promotion, salons, actions culturelles, etc.

Le simple fait que l’auteur·ice reste seul·e non salarié·e lors de l’exploitation de l’œuvre induit la nécessité d’une réflexion de fond sur ce statut particulier, pratiquement inchangé depuis le dix-huitième siècle. On peut ainsi s’étonner de l’absence d’un méca­­­nisme comparable à celui de l’assurance-chômage pour les artistes-auteur·ices, leur garantissant, comme aux autres travailleur·ses une continuité de revenu.

Depuis la crise sanitaire, un groupe d’artistes, de syndicalistes et de militant·es animé par la commission culture du Parti communiste français, a entamé un travail d’élucidation et de propositions susceptible de déboucher sur la mise en œuvre d’un droit au revenu de remplacement. Cette brochure est l’émanation de ce travail collectif.

Les métiers et les branches d’activités

Si généralement l’appellation artistes-auteur·ices évoque surtout pour le grand public les artistes plasticien·nes et les écrivain·es, ce sont en réalité une trentaine de professions qui relèvent de ce régime, tant dans les domaines des arts visuels et de l’édition que dans ceux du design, du numérique, de la photographie, de la musique, de l’audiovisuel et des arts de la scène. Le code de la propriété intellectuelle (art. L112-2 et L112-3) ne définit pas ce qu’est un·e artiste-auteur·ice, terme issu du droit social. Il se borne à décrire les créations, de natures diverses, considérées comme des œuvres de l’esprit. Par extension, cette énumération laisse entrevoir une pluralité de métiers.

C’est donc de la vente de ces créations que les artistes-auteur·ices tirent la majeure partie de leurs ressources, qu’il s’agisse de la commercialisation d’un objet unique ou de la cession des droits d’exploitation d’une œuvre reproductible.

Dans leur dernier rapport datant de 2019 et portant sur l’année 2018, l’Agessa et la Maison des Artistes, les deux organismes alors en charge de l’identification des créateur·ices et de leur affiliation à la Sécurité sociale, recensent 192 546 artistes-auteur·ices toutes catégories confondues. Depuis la réforme de 2019 et la prise en main de la collecte des cotisations par l’Urssaf Limousin, on en dénombre environ 270 0001.

Par ailleurs, les artistes-auteur·ices sont inégalement réparti·es sur le territoire, avec une forte présence en Île-de-France où résident près de la moitié d’entre elles et eux.

Liste des activités artistiques

  • Sculpteur·ice
  • Photographe
  • Peintre
  • Plasticien·ne
  • Graveur·se
  • Designer·euse
  • Graphiste
  • Dessinateur·ice (hors BD)
  • Illustrateur·ice
  • Auteur·ice de BD (dessinateur, scénariste, coloriste)
  • Écrivain·e, auteur·ice de livres (hors auteurs dramatiques)
  • Auteur·ice dramatique, adaptateur, librettiste
  • Auteur·ice de cirque, de pantomimes, de sketches, ou de monologues
  • Traducteur·ice littéraire
  • Réalisateur·ice – cinéma, audiovisuel et sonore
  • Traducteur·ice, adaptateur·ice, audiodescripteur·ice – cinéma, audiovisuel, sonore, web et œuvres ludiques
  • Auteur·ice graphique – image animée
  • Metteur·se en scène
  • Compositeur·ice, arrangeur
  • Parolier·e
  • Chorégraphe, auteur de partitions chorégraphiques
  • Scénographe
  • Commissaire d’exposition
  • Directeur·ice de collection éditoriale originale
  • Auteur·ice de jeux vidéo
  • Auteur·ice de logiciels
  • Vidéaste, vlogueur·se
  • Blogueur – web
  • Céramiste, émailleur·se, licier·e, vitrailliste et autres métiers d’art
  • Journaliste – hors critique d’art
  • Critique d’art, de musique, de littérature, de théâtre, de cinéma…
  • Autre activité artistique
source

Cumul des artistes-auteur·ices en 2019

source

Les acteurs institutionnels
de la création

Ministère de la Culture
Ministère de la Santé et de la Prévention
Sécurité sociale des Artistes-auteur·ices (ex MDA – Agessa)
Affiliation, contrôle du régime, informations
Urssaf Limousin
Recouvrement des cotisations et contributions sécurité sociale et formation.
IRCEC
Retraite Complémentaire répartie en 3 régimes
AFDAS
Formaton professionnelle
Caisse de sécurité sociale CAF, CPAM, CNAV–CARSAT
Prestations de la sécurité sociale
Artistes-auteur·ices
354243 en 2021
Diffuseurs
1711 en 2019

Le ministère de la Culture est compétent pour accompagner les créateur·ices et définir leur statut. Il partage la tutelle de leur régime de Sécurité sociale avec le ministère de la Santé et de la Prévention. Notons par ailleurs que presque toutes les directions et délégations du ministère de la Culture sont concernées par les artistes-auteur·ices, leurs secteurs d’activité étant très divers.

Pour leur couverture sociale, les artistes-auteur·ices sont adossé·es au régime général, comme les salarié·es. Jusqu’à récemment, l’exercice de ces droits passait par deux associations agréées : la Maison des Artistes pour les arts visuels, graphiques et plastiques, et l’Agessa pour le livre, la musique et la photographie. Leurs missions tenaient au contrôle du champ d’éligibilité au régime des artistes-auteur·ices, à l’affiliation des assuré·es, au recensement, à l’action sociale et au conseil aux intéressé·es. Après maintes péripéties sur lesquelles nous ne reviendrons pas, la Maison des Artistes et l’Agessa ont été regroupées dans un organisme unique sous le nom de Sécurité sociale des artistes-auteur·ices, dont l’existence a été officialisée récemment par un décret conjoint des ministères de la Culture et de la Santé et de la Prévention daté du 1er décembre 20222.

Depuis le 1er janvier 2019, c’est l’Urssaf, et plus précisément son antenne du Limousin, qui est chargée de collecter les cotisations des artistes-auteur·ices et de leurs diffuseurs (retraite de base, prestations familiales, santé, à l’exclusion des accidents du travail).

Pour leur retraite complémentaire, les créateur·ices éligibles dépendent de l’Ircec, un organisme divisé en trois caisses en fonction des secteurs d’activité.

Enfin, l’Afdas3 leur garantit depuis 2012 l’accès à la formation professionnelle sous réserve de revenus suffisants.

La représentation
des artistes-auteur·ices

Syndicats et organisations professionelles
16 organisations
Organismes de Gestion Collective
6 organisations

La pluralité des métiers et des situations a entraîné un certain émiettement des organisations représentatives, syndicats, associations professionnelles… C’est d’ailleurs la première raison invoquée par les pouvoirs publics, notamment le ministère de la Culture, pour contourner la question des élections lors de la constitution d’organismes de concertation. La Sécurité sociale des artistes-auteurs, par exemple, a le statut d’association loi 1901 mais son conseil d’administration est nommé par le gouvernement. Depuis le 1er décembre 2022 et pour une durée de six ans, il comporte seize organisations de travailleur·ses de la création et cinq fédérations de diffuseurs qui ne représentent que très imparfaitement la diversité des associations et syndicats qui œuvrent dans ses différents champs d’activité. Leur représentativité n’est pas en cause, mais certaines absences nous semblent inexplicables. De notre point de vue, seule l’organisation d’élections professionnelles au suffrage universel direct pourra donner une légitimité à cet organisme de Sécurité sociale, comme c’était le cas pour la Maison des Artistes jusqu’en 2014.

Pour information, on trouvera en Annexe 2 une liste plus complète de syndicats, associations et autres organisations d’artistes-auteur·ices.

Enfin, six sociétés d’auteur·ices perçoivent et versent des droits d’auteur à leurs membres : Sacem, SACD, Sofia, SCAM, ADAGP et Saif. On les appelle des « organismes de gestion collective » (OGC). Elles jouent un rôle important puisqu’elles répartissent le fruit de la diffusion des œuvres , du moins si les auteur·ices leur en ont confié la gestion. Cependant, quoi que certain·es en disent, elles n’ont pas à proprement parler un rôle de représentation, même si les pouvoirs publics ont tendance à s’appuyer sur elles pour contourner les organisations syndicales et les associations représentatives des travailleur·ses de la création4.

On l’a vu, le statut des créateur·ices est au croisement du travail indépendant et de la propriété intellectuelle. Leur rémunération reste donc particulièrement précaire car étroitement liée à la vente, à l’exploitation ou à la reproduction du produit de leur activité. Ce statut comporte toutefois une dimension salariale puisque le régime des artistes-auteur·ices leur donne en théorie les mêmes droits que les salarié·es pour la santé, la retraite et les prestations familiales. Comme la hausse de leurs rémunérations directes, le renforcement des droits sociaux des créateur·ices est une voie de sécurisation essentielle.

Précarité économique

Soumis aux aléas des ventes ou des cessions de droits, le revenu des artistes-auteur·ices reste incertain. Pour faire partie des « élu·es » qui vivent de leur travail, il faut produire une œuvre massivement diffusée ou bénéficier d’une cote élevée sur le marché de l’art, de l’édition, de la scène ou de l’audiovisuel. En attendant un hypothétique succès, la plupart des artistes sont contraint·es de multiplier les prestations (commandes, conférences, éducation artistique et culturelle, workshops, etc.) dont le tarif est imposé ou négocié individuellement. Des aides à la création sont mises en place pour atténuer la précarité de leur condition mais ces dispositifs mettent les artistes en concurrence pour l’accès à des ressources insuffisantes.

Schématiquement, les artistes-auteur·ices ont trois sources de revenu :

  • Les droits d’auteur, issus du droit de propriété, qui permettent de tirer une rente de l’exploitation d’une œuvre.
  • Les honoraires, dont le statut social et fiscal reste des plus incertains, issus d’un travail indépendant payé à la pièce ou à la tâche, qui rémunèrent la vente d’une œuvre originale ou d’une prestation.
  • Les aides à la création (bourses, commandes, résidences, etc.), distribuées sur appel à projets, qui visent à pallier la faiblesse des deux premières sources.

La condition des artistes-auteur·ices dépend donc du succès ou de l’insuccès de leurs productions et de leur reconnaissance institutionnelle. Comme le démontrent les statistiques, elle est structurellement précaire : en 2017, 53 % des artistes graphiques et plastiques ont perçu moins de 8 703 euros de revenus artistiques5. En 2019, une enquête de La Charente Libre a révélé que 150 des 200 auteur·ices de BD installé·es à Angoulême étaient au RSA6. Par ailleurs, le rapport Racine indique que la situation des femmes est encore plus mauvaise : ainsi, le revenu médian global des plasticiennes est de 10 000 euros par an contre 15 000 pour les plasticiens7.

Bien entendu, les métiers regroupés dans le régime des artistes-auteur·ices ne sont pas tous égaux face à la pauvreté. Les graphistes, par exemple, ont généralement des revenus supérieurs aux autres plasticien·nes. En revanche, tous sont marqués par une précarité certaine et par la peur du lendemain.

Pour vivre de sa création, il faut être compétitif, rester visible et vendre régulièrement.

Revenus artistiques en 2021

source

Répartition des revenus artistiques non nuls en 2021

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Précarité sociale

À l’incertitude économique s’ajoute une carence en droits sociaux. En effet, l’absence de régulation et le manque de reconnaissance n’ont pas permis la construction d’une couverture sociale intégrale protégeant les créateur·ices des accidents de la vie et des carrières en dents de scie.

Dans ce sombre tableau, le régime des artistes-auteur·ices est une percée notable. En effet, depuis la fin des années 70, la Sécurité sociale leur donne des droits salariaux : à partir du premier euro déclaré, les créateur·ices ont la même assurance-maladie que les salarié·es du privé. À compter d’un revenu équivalent à 600 heures de Smic8, ils et elles valident une annuité complète pour la retraite et bénéficient d’indemnités maladie et de congés de paternité/maternité. Ce socle de droits constitue une base solide pour renforcer leur statut.

Mais la route est encore longue, car bien que leur régime soit sur le point de fêter ses cinquante ans, les artistes-auteur·ices ne sont toujours pas couvert·es en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles et n’ont pas d’assurance-chômage. Au contraire des interprètes, ce droit à la continuité du revenu leur est refusé. Pour pallier ce manque, de plus en plus d’artistes ont recours à l’ASS9 et au RSA, ce qui n’est pas sans provoquer des tensions avec les administrations en charge des minima sociaux. Pour les travailleur·ses de la création, c’est la double peine : la faiblesse de leur protection sociale redouble leur précarité économique.

Cette situation insoutenable est le symptôme d’un statut hybride qui n’a pas trouvé sa forme aboutie, la faute, entre autres, à la persistance de préjugés sur le travail artistique.

On peut d’ailleurs noter une ambiguïté dans le traitement des droits pour des auteur·ices qui bénéficient de l’intermittence au titre de leurs activités salariées (metteur·ses en scène, interprètes ou technicien·nes), Pôle emploi défalquant parfois leurs revenus d’auteur·ices des allocations de chômage.


Le transfert des compétences de la Maison des Artistes et de l’Agessa à l’Urssaf Limousin est un facteur aggravant de précarité. Depuis son effectivité en janvier 2019, il provoque une multitude de problèmes liés à la défaillance récurrente du site internet, à l’« automatisation » du calcul des cotisations qui ne correspond en rien aux réalités économiques des créateur·ices (en particulier les entrant·es) et à un déficit de liens avec l’administration. Le monde de la création est protéiforme et ses problèmes aussi, ce qui nécessite un service public attentionné.

Précarité sociétale et représentations fantasmées

Quand la société se pose (enfin) la question du sens donné au travail, quand le mal-être des travailleur·ses salarié·es, essoré·es par un système qui se veut avant tout rentable, peine à être entendu par des pouvoirs publics persuadés qu’une société heureuse est celle du plein emploi, quel qu’il soit et quelles qu’en soient les conditions, les travailleur·ses de la création prennent à bras-le-corps la question de la reconnaissance de leur travail et de sa valeur.

« Parmi vous, un seul survivra »

Propos tenu aux 80 étudiant·es de 1re année de l’ENSBA Lyon – Collectif Les mots de trop

Dans la création, c’est l’œuvre qui rapporte. Qu’elle soit écrite, musicale ou visuelle, c’est sa diffusion qui compte. L’auteur·ice, le plus souvent prend les risques seul·e, dans le meilleur des cas avec la promesse d’une rémunération à la fin, mais en général en faisant un pari sur l’avenir. La reconnaissance de l’artiste-auteur·ice et de son travail n’intervient que lorsque le marché a décidé que l’œuvre avait une valeur.

Les artistes-auteur·ices sont ainsi victimes des représentations fantasmées de leurs métiers. La liberté, l’épanouissement, la « bohème », popularisés par des idées romantiques issues d’une autre époque, conduisent souvent les publics à se demander si c’est un « vrai métier ». Ce sentiment est accentué par la coexistence de pratiques amateurs ou de loisir, et d’accès à de nouveaux outils numériques qui démocratisent le Do It Yourself.

Et même lorsqu’il bénéficie de cette reconnaissance et travaille au sein d’une équipe de création (comme au théâtre ou au cinéma par exemple) ou de diffusion (cas de la galerie ou de l’édi­tion), l’exercice de son « métier » n’a pas d’existence contractuelle ou salariale.

« Les artistes-auteurs, dont le temps de travail n’est pas rémunéré en tant que tel, pâtissent […] du déséquilibre des relations avec les acteurs de l’aval (éditeurs, producteurs, diffuseurs, etc.) »

Rapport Racine

Ce manque de reconnaissance sociale se retrouve dans les échanges avec les commanditaires. Le travail des auteur·ices reste la variable d’ajustement quand le budget est trop serré. Pour un appel d’offres public, la rémunération de la phase de projet est la plupart du temps inexistante ou symbolique. Un projet qui demande trois semaines de travail en continu pourra être « indemnisé » à hauteur de 500 euros pour les perdant·es. Pour un projet d’édition, la rémunération prendra la forme d’un « à-valoir » sur les droits de diffusion allant de 2 à 3 000 euros pour 6 à 8 mois de travail. Enfin, pour une exposition, l’installation des œuvres est souvent à la charge de l’artiste qui, dans le meilleur des cas, sera simplement défrayé·e, sans qu’aucune rémunération au titre du droit de présentation ne lui soit proposée, malgré sa présence sur le « lieu de travail », qui devrait relever du « droit du travail ». « Ça vous fera votre pub ! » : c’est la phrase que beaucoup de créateur·ices reçoivent en plein visage comme un crachat de mépris.

« Vous n’avez qu’à arrêter de manger pour financer vos projets. »

ESA La Réunion – Collectif Les mots de trop

Le travail de création n’est pas uniquement émancipateur. Il génère du stress, des angoisses et de la frustration, comme n’importe quel travail. Il provoque des troubles psychiques, de l’usure physique et nerveuse, comme n’importe quel travail. Pourtant, aucune règle n’encadre la rémunération des artistes. Aucune règle n’encadre leur temps de travail. Aucune règle ne les protège dans leurs rapports avec les commanditaires. Les auteur·ices sont corvéables à merci aux conditions de celui qui les paie, quand il les paie…

« On ne va quand même pas vous donner des week-ends, et puis quoi encore, les 35 heures aussi ? »

Commentaire d’un organisateur de résidence artistique

Cette absence de droits (rappelons encore une fois que le droit d’auteur protège essentiellement les œuvres) créé les conditions d’une mise en concurrence extrêmement violente. Elle pousse les créateur·ices à dévaluer leur travail pour accéder aux commandes. Bien souvent, les « lauréat·es » sont les moins coûtant·es, ce qui conduit beaucoup d’artistes à se placer en situation de « suicide économique ». C’est à leur reconnaissance en tant que travailleur·ses que les artistes-auteur·ices doivent tendre, notamment lors de leur présence physique lors de la présentation de leurs œuvres.

« J’ai travaillé en 2019 mais tout a été payé début 2020 et depuis, plus rien et je n’ai droit à rien. »

Témoignage dans SNAP! Journal du syndicat des artistes plasticien·nes de la CGT, 2021.

Tout cela conduit à une auto-déconsidération d’une partie des artistes-auteur·ices. La petite musique sociétale du « Vous faites un métier passion » ou du « C’est vous qui avez choisi ce métier » imprègne les travailleur·ses de la création qui finissent par s’en convaincre, voire par revendiquer cet état de fait. Ils et elles finissent par se placer en dehors (ou au-dessus) du camp des travailleur·ses et par s’extraire de toute action revendicative en acceptant leur condition d’artistes maudit·es.

Fort heureusement, une nouvelle génération d’artistes-auteur·ices se montre plus combative et attachée au qualificatif de « travailleur·ses de l’art ». Ce changement de regard sur les métiers de la création entraîne un rejet de la précarité subie et traduit une prise de conscience qui nourrit tout un champ de revendications, ainsi qu’une posture professionnelle assumée incitant les intéressé·es à se structurer pour acquérir de nouveaux droits.

Pendant la crise sanitaire, de nombreux·ses travailleur·ses indépendant·es ont expérimenté une forme de continuité du revenu. Ainsi, les quelques artistes-auteur·ices ayant bénéficié des aides Covid ont appris que leur travail avait une valeur en tant que tel, par-delà la possibilité de vendre ou de diffuser des œuvres10. Des centaines de créateur·ices ont pu mener des recherches et continuer à produire en percevant des revenus réguliers, tandis qu’en temps normal, seules les activités validées par une vente sont considérées comme dignes de rémunération.

Les artistes-auteur·ices seraient donc des travailleur·ses qui méritent une reconnaissance ponctuelle, seulement le temps d’une crise ? En fait, cette situation a mis l’accent sur un constat de plus en plus partagé : il n’est pas supportable que la rémunération des créateur·ices dépende uniquement des aléas des ventes.

Il est temps de changer de paradigme : pendant la pandémie, trop d’artistes ont été oublié·es par le « quoi qu’il en coûte ». À l’instar des autres travailleur·ses, les artistes-auteur·ices doivent accéder à une assurance-chômage conçue comme le maintien de leurs revenus d’activité, qu’il s’agisse de droits d’auteur ou de rémunérations issues de leur travail effectif.

Artistes-auteur·ices bénéficiant du fond de solidarité pour les TPE

Le principe

À l’heure actuelle, les artistes-auteur·ices peuvent toucher le RSA11. Au contraire de ce forfait minimum financé par l’impôt, l’assurance-chômage garantit le maintien d’un salaire de référence entre deux emplois. Dans le champ de la culture, c’est un droit que connaissent bien les artistes-interprètes puisque le régime de l’intermittence leur assure un pourcentage de leur salaire entre les contrats.

Selon une idée répandue, les créateur·ices ne pourraient pas bénéficier de ce type de droit dont l’accès est conditionné à la validation d’un nombre d’heures dans l’emploi. Cette objection découle d’une méconnaissance du fonctionnement de la Sécurité sociale qui convertit les revenus des artistes-auteur·ices quels qu’ils soient en un volume d’heures, auxquelles s’ajouteraient, le cas échéant, les heures acquises au titre du salariat (salons, plateau, studio, etc.). Leur retraite de base, par exemple, repose sur ce principe : quand les intéressé·es déclarent un revenu équivalant à 600 heures Smic ou plus, ils et elles valident une annuité complète. Une fois atteint l’âge légal, leur pension est calculée en fonction des 25 meilleures années de revenu d’activité, comme pour les salarié·es du secteur privé.

Par conséquent, nous avons déjà les moyens de leur ouvrir l’intégralité des droits salariaux. Notre proposition de projet de loi prévoit ainsi une entrée dans l’assurance-chômage à partir d’un revenu annuel équivalant à 300 heures Smic, soit 3 456 euros brut. Les artistes-auteur·ices indemnisé·es auront droit au maintien d’un pourcentage de leurs revenus d’activité des douze derniers mois et le montant minimum de leur allocation mensuelle sera fixé à 60 % du revenu médian de la population générale, soit environ 1 100 euros net au 1er juillet 2023.

Grâce à cette avancée décisive, les créateur·ices seront enfin considéré·es comme des travailleur·ses entre deux ventes ou deux prestations. Leur statut sera renforcé et une partie de leur revenu sera garantie par un dispositif collectif émancipateur.

Seuils d’ouverture des droits

Cotisations et ouverture des droits – Système actuel

Proposition de loi d’une continuité de revenus

ACOSS
Agence centrale des organismes de Sécurité sociale. Collecte, avec le réseau des Urssaf, les cotisations et contributions sociales qui financent les branches du régime général de la Sécurité sociale.
URSSAF
Union de Recouvrement pour la Sécurité Sociale et les Allocations Familiales. Collecte les cotisations et les contributions sociales des entreprises.
CNAF
Caisse nationale des allocations familiales. œuvre pour améliorer les conditions de logement et le cadre de vie des familles.
CNAM
Caisse nationale d’assurance maladie. Gère au niveau national, les branches maladie et accidents du travail / maladies professionnelles du regime general de la securite sociale et pilote les organismes chargés de la mettre en œuvre.
CNAV
Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse. La caisse de retraite de base.
UNEDIC
Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce. Une association chargée par délégation de service public de la gestion de l’assurance-chômage en France, en coopération avec Pôle emploi.

Taux actuel des cotisations sociales

source

Volume global des cotisations à la Sécurité Sociale en 2019

source

Mécanisme général et hypothèses de financement

Une proposition de projet de loi (PPL) a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) à la fin de la précédente mandature. Elle sera bientôt redéposée sur le bureau de la nouvelle Assemblée. Cette proposition « visant à l’instauration d’un revenu de remplacement pour les artistes-auteur·ices temporairement privé·es de ressources » a pour but d’introduire cette question dans le débat public et de lui apporter une réponse structurée. On peut la retrouver ici :

www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/texts/l15b5093_proposition-loi#

En l’absence d’activités rémunérées, l’artiste, qui a les minima sociaux pour unique ressource, se retrouve dans une situation encore plus dégradée que celle des autres travailleur·ses de la culture. En plus de satisfaire ses besoins élémentaires, il ou elle doit continuer à créer avec tout ce que cela implique en termes de frais professionnels (déplacements, documentation, fournitures, espace de travail, etc.)

Il faut en finir avec cette injustice qui frappe des milliers de créateur·ices essentiel·les à la vie artistique et intellectuelle de notre pays et qui pèse sur son développement. La mise en place d’un revenu de remplacement est une urgence à la fois sociale et culturelle.

Malgré les attaques récurrentes qu’il continue de subir (voir la dernière réforme de l’assurance-chômage et la récente bataille pour les retraites), notre système de protection sociale dispose de l’outil nécessaire à sa mise en œuvre : l’assurance-chômage pilotée par l’Unédic et gérée au quotidien par Pôle emploi. Elle est compétente pour collecter les cotisations (en l’occurrence, celles des artistes-auteur·ices, et celles de leurs diffuseurs), pour recueillir les contributions fiscales et pour verser des allocations aux travailleur·ses.

À l’heure où les pouvoirs publics nous annoncent un redressement spectaculaire des comptes de l’Unédic12, l’éventuel « surcoût » pour la solidarité interprofessionnelle serait négligeable, a fortiori si les diffuseurs sont invités à cotiser au-delà du ridicule taux actuel fixé à 1,1 % de la rémunération brute13.

Le collectif La Buse a rédigé un article sur ce sujet qu’on retrouvera en annexe 3.

Concrètement, ce revenu de remplacement sera mis en œuvre de la manière suivante : l’artiste-auteur·ice en situation de perte de ressources devra effectuer une déclaration auprès de Pôle emploi créant ainsi une « date anniversaire ». Il ou elle devra alors justifier d’un certain niveau de revenus d’activité – par exemple, l’équivalent de 300 heures Smic sur les douze derniers mois. Une fois ce seuil atteint, des droits lui seront ouverts et une partie de son revenu d’activité sera maintenu par l’Unédic sous forme d’allocation-chômage, comme pour les salarié·es intermittent·es relevant des annexes 8 et 10.

Les effets attendus

Le premier effet de ce dispositif de continuité du revenu sera de sortir les artistes-auteur·ices de la précarité économique qui les touche. Cela devrait également leur permettre de ne plus avoir recours au RSA, un minimum social inadapté à leur statut de travailleur·ses.

Un régime plus fort, donc un statut consolidé, permettra une ouverture des secteurs de la création à des catégories sociales qui ne peuvent pas se permettre d’endurer des années de travail gratuit et de pauvreté au nom de la passion. Nul doute que ce nouveau droit aura un effet émancipateur et inclusif pour des milliers de travailleur·ses artistiques.

Un autre effet attendu est de protéger les artistes-auteur·ices d’un rapport de domination exercé par les diffuseurs et commanditaires. Les créateur·ices seront en meilleure position pour négocier voire refuser une commande si la rémunération n’est pas à la hauteur du travail fourni.

Par conséquent, la concurrence entre les artistes sera atténuée, ou plutôt reportée sur le critère du « mieux-disant », par opposition à celui du « moins-coûtant ».

Ce sera enfin un pas de plus dans la reconnaissance du statut de travailleur·se et des droits qui lui sont attachés.

Cette brochure rappelle qu’il est urgent de sortir les artistes-auteur·ices de la précarité qui étouffe la création dans notre pays. Il faut leur donner les moyens de travailler librement et sans peur du lendemain, comme devrait pouvoir le faire n’importe quel·le travailleur·se.

La liberté, qui est le cœur de la création, ne peut exister qu’à l’abri de logiques ultra-concurrentielles qui poussent à reproduire les violences systémiques. Contre l’incertitude des règles du marché qui conduisent à obéir plutôt qu’à inventer, le rapport de force doit être inversé.

La continuité du revenu des artistes-auteur·ices sera un premier moyen pour parvenir à créer ce climat de sérénité et de liberté dont les créateur·ices ont besoin pour accomplir leur travail.

À l’intersection du droit commercial, du droit de la propriété intellectuelle et du droit social, la condition des artistes-auteur·ices est en perpétuelle mutation. Ces dernières années, elle a connu des évolutions contrastées, avec des progrès relatifs mais aussi des régressions inadmissibles. Nous devons continuer de construire le statut des créateur·ices brique par brique, année après année, par apports successifs. L’instauration d’un revenu de remplacement sera l’un des éléments permettant la reconnaissance du travail artistique comme une activité socialement nécessaire.

Notre pays, dont la création est saluée dans le concert mondial, aurait tout à gagner à accorder ce nouveau droit aux artistes-auteur·ices, pour le plus grand bien de leurs œuvres passées et futures.

Nous appelons tous·tes les artistes à soutenir cette proposition de projet de loi car il s’agit de leurs conditions de travail et in fine de leur vie.

Nous appelons les parlementaires, député·es et sénateur·ices, à défendre et à voter ce text qui répare une injustice héritée d’un autre temps.

Ne tenons pas plus longtemps les artistes-auteur·ices à l’écart des droits fondamentaux et communs à tous·tes les travailleur·ses.

Annexe 1

Arrêté du 1er décembre 2022 fixant la composition du conseil d’administration de l’organisme agréé prévu à l’article R. 382-2 du code de la Sécurité sociale.

JORF n° 0283 du 7 décembre 2022 text n° 39

La ministre de la Culture et le ministre de la Santé et de la Prévention,

Vu le code de la Sécurité sociale, notamment ses articles L. 382-2, R. 382-2 et R. 382-8,

Arrêtent

Article 1
  • Au titre des organisations professionnelles et syndicales représentant les artistes-auteurs, à raison d’un représentant par organisation :
    • L’Association des traducteurs/adaptateurs de l’audiovisuel ;
    • L’Association des traducteurs littéraires de France ;
    • L’Alliance France design ;
    • La Confédération générale du travail – spectacle (CGT spectacle) ;
    • Le Comité pluridisciplinaire des artistes-auteur·ices et des artistes-autrices ;
    • Les Écrivains associés du théâtre ;
    • La Fédération conseil culture communication – Confédération française démocratique du travail (Fédération conseil culture communication-CFDT) ;
    • La Guilde des auteurs-réalisateurs de reportages et de documentaires ;
    • La Guilde des scénaristes ;
    • La Ligue des auteurs professionnels ;
    • Les Scénaristes de cinéma associés ;
    • La Société des gens de lettres ;
    • La Société des réalisateurs de films ;
    • Le Syndicat national des auteurs compositeurs ;
    • L’Union des photographes professionnels ;
    • L’Union nationale des auteurs compositeurs.
  • Au titre des personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 382-4 du code de la Sécurité sociale, à raison d’un représentant par organisation :
    • La Chambre syndicale de l’édition musicale ;
    • La Fédération des professionnels de l’art contemporain ;
    • Le Syndicat national de l’édition ;
    • L’Union des producteurs de cinéma ;
    • L’Union syndicale de la production audiovisuelle.
Article 2

La ministre de la Culture et le ministre de la Santé et de la Prévention sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait le 1er décembre 2022.

La ministre de la Culture,
Rima Abdul-Malak
Le ministre de la Santé et de la Prévention, François Braun

Annexe 2

Liste de syndicats, organisations professionnelles et organismes de gestion collectives

Syndicats et autres organisations professionnelles
Organismes de gestion collective
  • Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM)
  • Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD)
  • Société civile des auteurs multimédia (SCAM)
  • Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP)
  • Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF)
  • Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA)
  • NB : SACEM et SOFIA sont des sociétés mixtes auteurs/éditeurs

    Notons aussi pour mémoire l’existence de sociétés chargées de recouvrer et de répartir les « droits voisins » issus de la loi Lang du 3 juillet 1985 :

Sociétés de producteurs/éditeurs :
  • Société civile des éditeurs de langue française (SCELF)
  • Société civile des producteurs phonographiques (SCPP)
  • Société des producteurs de phonogrammes en France (SPPF)
Société d'artistes interprètes
  • Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami)
  • Société de perception et de distribution des droits des artistes musiciens (Spedidam)

Annexe 3

Sécu : les diffuseurs ne cotisent pas

La Buse répète souvent que les diffuseurs (centres d’art, maisons d’édition, etc.) ne versent quasiment rien à la Sécurité sociale. Et pour cause, leurs contributions sont fixées à 1,1 % de la rémunération brute des artistes-auteur·ices ! (Pour comparaison, rappelons que les entreprises du spectacle ont un taux de cotisation employeur d’environ 46  % du brut.)

Les statistiques sont accablantes. Prenons par exemple les chiffres de l’année 2018 :

- Les artistes graphiques et plastiques ont cotisé 112 millions d’euros à la Sécu tandis que leurs diffuseurs n’ont versé que 6,4 millions, soit 5,3 % du montant global des contributions (rapport d’activité 2018 de la Maison des artistes, pp. 16 et 19).

- À cela, il faut ajouter pour l’Afdas (la formation professionnelle) 2,3 millions d’euros cotisés par les artistes et 1,15 million par les diffuseurs.

- Les auteur·ices ont cotisé 158 millions d’euros tandis que leurs diffuseurs ont versé, une fois le précompte déduit, 19,9 millions, soit 14 % du volume global des cotisations (rapport d’activité 2018 de l’Agessa, pp. 18–20)

- À cela s’ajoute pour l’Afdas 0,71 million de la part des auteur·ices et 6 millions de la part des diffuseurs (impossible de savoir si le précompte est inclus dans ce chiffre).

Au total, les artistes-auteur·ices ont apporté 273 millions (hypothèse basse n’incluant pas la part Afdas précomptée des auteur·ices) et leurs diffuseurs 33,45 millions (hypothèse haute).

Soit 89,1 % des contributions pour les artistes-auteur·ices et 10,9 % pour les diffuseurs.

Les diffuseurs ont pourtant 5 sièges sur 27 au conseil d’administration de la Sécurité sociale des artistes-auteur·ices et peuvent compter sur l’appui des deux « personnalités qualifiées » (une cadre de la Sacem, un ex-président de la SACD) et de plusieurs représentant·es des travailleur·ses de l’art.

La Sacem et la SACD, techniquement considérées comme des diffuseurs par la Sécu car elles versent des droits d’auteur, ont un poids tout particulier dans la gouvernance du régime puisqu’elles ont également deux sièges attitrés à l’assemblée générale.

Ces chiffres doivent être des outils pour déconstruire l’influence du « patronat des arts » dans la gestion de notre Sécu, pour demander des élections professionnelles dans nos secteurs et pour défendre notre proposition de loi sur le revenu de remplacement des artistes-auteur·ices qui nécessitera une cotisation supplémentaire des diffuseurs.

Un article paru sur le site de La Buse le 15.06.2023
www.la-buse.org/ressources/Secu-les-diffuseurs-ne-cotisent-pas

Table des matières

introduction

0

le
« paysage »
des artistes
-auteur·ices

1
Cette différence de près de 80 000 personnes reste mystérieuse. Et ce n’est pas terminé : le ministère de la Culture parle aujourd’hui de 398 000 artistes-auteur·ices, soit 170 000 de plus ! Difficile de croire que le nombre de créateur·ices a quasiment doublé en quatre ans.
2
Cf. Annexe 1 : arrêté du 1er décembre 2022 fixant la composition du conseil d’administration de l’organisme agréé prévu à l’article R382-2 du code de la sécurité sociale.
3
L’Assurance formation des activités du spectacle est l’ « opérateur de compétences » en matière de formation des salarié·es permanent·es et intermittent·es du spectacle, des artistes-auteur·ices et des pigistes.
4
Cf. Annexe 2 : liste des OGC à la suite des organisations syndicales et associatives.
5
La Maison des Artistes, Rapport d’activité. Année 2018, p. 12.
6
Samuel Cazenave, « À Angoulême, 150 auteurs de BD sur 200 sont au RSA », La Charente Libre, 23 novembre 2019.
7
Bruno Racine (dir.), L’auteur et l’acte de création, ministère de la Culture, 2020, p. 25. https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/L-auteur-et-l-acte-de-creation
8
Soit 6 918 euros au 1er juillet 2023.
9
L’allocation de solidarité spécifique (ASS) est un minimum social versé par Pôle emploi. C’est une allocation différentielle dont le montant est plafonné à 536,95 euros au 1er juillet 2023.
10
On estime que 15 à 20 % des artistes-auteur·ices ont eu accès aux aides Covid, tous dispositifs confondus.
11
Ou, sous certaines conditions spécifiques, l’ASS versée par Pôle emploi.
12
Après treize années de déficit, l’Unédic annonce un fort excédent des comptes de l’assurance-chômage dans ses prévisions financières rendues publiques le 13 juin 2023 : 4,4 milliards d’euros en 2023, 5,4 milliards en 2024, puis 8,7 milliards en 2025 !
13
À titre de comparaison, les cotisations patronales des entreprises du spectacle sont de 46 % du salaire brut.
Instruction intermi­nistérielle N° DSS/5B/DGCA/2023/6 du 12 janvier 2023 relative aux revenus tirés d’activités artistiques relevant de l’article L. 382-3 du code de la sécurité sociale, 2023.
Rapport d’activité, AGESSA, 2019. Rapport d’activité, MDA, 2019.
Observatoire des revenus des artistes-auteurs, ministère de la Culture, 2023. Les salaires dans le secteur privé en 2021, Insee, 2023.
Observatoire des revenus des artistes-auteurs, ministère de la Culture, 2023.
Sécu : les diffuseurs ne cotisent pas, La Buse, juin 2023, www.la-buse.org/ressources/Secu-les-diffuseurs-ne-cotisent-pas, consulté en octobre 2023.
Sécu : les diffuseurs ne cotisent pas, La Buse, juin 2023, www.la-buse.org/ressources/Secu-les-diffuseurs-ne-cotisent-pas, consulté en octobre 2023.